Initiation au Féminin Sacré au cœur de groupes de parole sur les collines du Rwanda

Des groupes de parole avec des survivantes du génocide  sont devenus des espaces sacrés où nous nous sommes connectées à la puissance du Féminin. En lâchant notre savoir, nous sommes entrées dans une co-naissance, ensemble, reliées à un courant de Vie puissant malgré l’effroi de la guerre.

 

C’est sur les collines au Rwanda qu’a débuté mon initiation inattendue au cœur de la sagesse du féminin sacré. J’étais là en tant que jeune psychologue de 27 ans, responsable d’un programme de santé mentale pour Médecins Sans Frontières. Mon rôle consistait alors à apporter des outils cliniques aux conseillères en trauma qui travaillaient auprès de femmes victimes du génocide sur plusieurs collines du pays.

 

Ces survivantes de la guerre se rassemblaient toutes les 2 semaines avec des conseillères en trauma rwandaises pour parler de leur survie. Toutes avaient eu leurs maris et enfants tués durant la guerre, toutes avaient été violées, certaines des centaines de fois. 8 ans après, elles vivaient dans des conditions déplorables car elles avaient contracté le SIDA durant les viols et n’avaient plus la force de cultiver leur champ. La première fois que j’ai rencontré quelques unes d’entre elles, ce fût sur la colline de Taba, dans une hutte de terre, à 300 m de la prison où certains des meurtriers de leur famille étaient enfermés. A ce moment-là, elles ne parlaient que de leur futur enterrement et de la survie de leurs enfants car elles mouraient les unes après les autres.

 

J’ai une immense gratitude envers ces femmes de Taba car c’est elles qui ont éveillé la lionne en moi et m’ont permis d’accéder à la sagesse des cercles de femmes et à la puissance du Féminin.

 

Face à l’injustice scandaleuse exprimée au cœur de cette hutte, il y a un espace en moi qui s’est ouvert et qui a dit « STOP, ça ne peut plus durer ».  Nous avons alors négocié avec MSF pour apporter des vivres aux femmes de Taba et aussi aux 12 autres groupes de femmes que nous suivions, nous les avons toutes inscrites dans des projets SIDA tenus par MSF ou d’autres ONG, contacté des organismes de micro-crédits et nous avons commencé à témoigner partout où nous pouvions de ce que vivaient ces femmes.

 

Et surtout nous avons transcendé ensemble cet espace où nous aurions pu rester enfermées, identifiées à notre couleur de peau ou à un « savoir » que la psychologue européenne apporte à « celles qui ne savent pas ». Ensemble, nous sommes entrées dans la « co-naissance », cette manière de naître à soi en étant ensemble connectées à plus. Aujourd’hui, 10 après, je me dis que nous avons pu dépasser ces frontières parce que nous étions tellement confrontées à la mort de ces femmes et à la survie de leurs enfants que nous avons lâché notre tête pour entrer dans nos cœurs  (il faut bien avouer que toutes les théories apprises sur les bancs de l’université devenaient obsolètes !).

 

En lâchant notre « savoir » nous avons touché les unes et les autres cet espace sacré où la sagesse des femmes qui se rassemblent depuis des millénaires est à portée de cœur.

 

Ces « groupes de parole » devenaient des espaces sacrés où nous priions ensemble, où nous avons beaucoup ri, parfois pleuré. Elles ont pu y déposer les tortures vécues et leurs répercussions physiques et psychiques dans leur vie quotidienne, l’isolement, la misère, la décrépitude, la confrontation à leurs agresseurs lors des tribunaux populaires (gacaca), et les durs aléas de la survie sur les collines rwandaises.

 

Malgré l’effroi de leurs récits, nous restions connectées ensemble à un courant de vie puissant. J’ai du mal à mettre en mots cette joie que nous ressentions quand nous nous retrouvions toutes les deux semaines. Auprès d’elles, j’ai appris à reconnaître dans mes tripes le cycle vie – mort – renaissance auquel nous les humains sommes inexorablement liés et que nous les femmes ressentons plus particulièrement dans nos corps. Ce cycle de vie qui fait que nous pouvons traverser des zones innommables et que nous restons connectées à la Vie.

 

J’ai aussi appris que parfois quand des femmes se rassemblent une sagesse très ancienne peut les inonder si elles lâchent leurs savoirs pour entrer dans la co-naissance.

 

Merci à vous toutes, les femmes de Taba et les autres survivantes du génocide qui par votre confiance m’avez fait naître à ma féminité sacrée. Je suis heureuse de savoir que 10 ans après, la plupart d’entre vous sont encore vivantes. Merci à vous Jeannine et Chantal, mes alter egos rwandaises, pour cette aventure commune.

 

Je sais que nous nous retrouvons parfois les unes et les autres, dans nos rêves, auprès d’un feu où tout peut être déposé et nettoyé, pour ensuite retrouver la joie et  la vitalité propres au féminin.

 

De tout cœur,

Laetitia de Schoutheete
Son travail
 Au cœur des thérapies brèves